Protection du site de la Chartreuse: 2ème partie (après 2003)

 
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Après 2003, l’ancien domaine militaire fut divisé en plusieurs zones appartenant à trois propriétaires: la Ville de Liège et deux sociétés immobilières (voir Protection du site de la Chartreuse: 1ère partie).

Le plan des propriétés peut être consulté sur notre site (voir A qui appartient le site de la Chartreuse).

L’une d’elles, la société Matexi, réunit différents intervenants et organisa une charrette urbanistique en 2004. Architectes, urbanistes, service de l’urbanisme de Liège, comités de quartier, associations intéressées furent conviés et donnèrent leur avis. Quelques membres de notre asbl y assistèrent comme consultants ou observateurs mais sans mandat, évidemment, d’approuver le projet présenté. Car, que pouvait faire un promoteur immobilier sinon créer du logement dans un but lucratif ce qui était fort loin de notre objet social.

En 2012, cette société introduisit une demande de permis d’urbanisme. Elle fut acceptée mais ensuite abandonnée par son promoteur.

Quant à la société Immo Chartreuse, ses représentants ne trouvèrent rien de mieux que de démolir les cachots de 14-18 et commencer à dépaver la cour du réduit. Heureusement, la police de l’environnement fut prévenue et mit fin à ces démolitions illégales (interdites par l’arrêté de classement) avec une amende à la clef. Mais les cachots qui attiraient pas mal de visiteurs quand nous organisions des visites du fort furent réduits à un tas de gravats.

Le bâtiment des cachots, après sa démolition par Immo-Chartreuse.
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En avril et juin 2010, deux réunions d’information à l’initiative du service d’urbanisme de la Ville se tinrent à l’école communale de Bressoux, avenue Brigade Piron. La société Immo Chartreuse présenta à l’auditoire un plan et une maquette de la caserne du fort aménagée en appartements. Le projet était pour nous inacceptable. Des blocs blancs posées sur le 1er étage du fort, cela ne correspondait pas du tout à notre idée de sauvegarde du fort.

Le projet d’Immo-Chartreuse – Photo La Meuse, 7/72010.
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Matexi présenta également son projet d’urbanisation. En 2010, le bureau Pissart avait été chargé de l’étude d’incidence.

Quelques années plus tard, la société Matexi introduisit une seconde demande d’urbanisme pour la construction de 74 logements (32 maisons et 42 appartements) au Thier de la Chartreuse. De nombreux riverains s’y opposèrent, se réunirent le 27 octobre 2017 à l’endroit dit « la dalle », là où se trouvaient les anciens hangars militaires, et décidèrent de créer un groupement de citoyens sous forme d’une association de fait appelée « Un Air de Chartreuse » (UADC). Une pétition de 5.000 signatures fut déposée à l’urbanisme. La société demanderesse retira sa demande, provisoirement, dit-elle, pour y apporter des modifications. Une réunion d’information eut lieu le 25 avril 2018, en présence de l’échevin de l’urbanisme. Elle fut suivie d’un premier atelier le 17 mai mais le second prévu le 21 juin fut reporté sine die.

Quant aux zones vertes et une partie du parc des Oblats restée en zone d’habitat au plan de secteur (voir 1ère partie), la Ville aidée par des subsides européens dans le cadre du programme Value Added les aménagea de manière à les rendre attractives et plus sûres pour les usagers de la Chartreuse. Et de fait, les promeneurs, les familles qui pique-niquent sur les dalles sont plus nombreux surtout les week-ends.

Classement du fort

Une seconde demande de classement est actuellement examinée par l’administration du patrimoine. UADC a envoyé une pétition de 2.300 signatures demandant le classement du fort comme monument.

La première demande de classement, j’en ai parlé dans la partie I. J’apporte quelques précisions. Tout d’abord que la demande est ancienne. En 1958, l’armée s’inquiétait de la restauration du portique de l’entrée et faisait référence à une demande de classement auprès de la CRMS. En 1988, le CLHAM (Centre liégeois d’histoire et archéologie militaires) fit parvenir à la Commission un épais dossier à l’appui de sa demande de classement. Il aura fallu les nombreux courriers adressés à l’exécutif de la Communauté française par les associations de protection de la nature ainsi que les associations de défense du patrimoine comme les ASBL « Parc des Oblats » et « La Chartreuse », avec l’appui de la Ville de Liège pour qu’en décembre 1988, la procédure commence son long parcours et aboutisse à l’arrêté ministériel du 31 octobre 1991.

En septembre 1988, M. Wasterlain, président de la CRMS écrivait au Ministre-Président de l’Exécutif de la Communauté française ainsi qu’à l’administration du patrimoine culturel que « la Commission royale se permet d’insister sur sa proposition d’ouverture d’enquête en vue du classement du bien considéré », l’objet du courrier étant le « classement éventuel comme monument » de certaines constructions dont notamment les «façades, pignons et toutes plates-formes des deux premiers niveaux des bâtiments II, III et IV. Et comme site : de l’ensemble (…) délimité par un liseré noir au plan » (je n’ai pas ce plan mais c’est celui, vraisemblablement, qui sera joint à l’arrêté de classement).

L’arrêté classe le site comme site. Les immeubles bâtis situés sur ce site sont de ce fait « classés » car la décision ministérielle énonce une série de mesures qui les protègent. Si les bâtiments hollandais avaient été classés comme monument, leur propriétaire désireux de les restaurer aurait pu demander une aide financière. On voit mal un promoteur tel que la société Immo Chartreuse s’intéresser à la remise en état du fort hollandais au point d’y consacrer du temps (le dossier administratif est compliqué, nous l’avons vu avec la restauration de l’arvô, classé en 1981) et de l’argent (pour les différentes études et plans d’architecte) au risque de voir ses projets de construction et ses espoirs de rendement fortement limités. Je rappelle que cette société a mis en vente son bien par le ministère du notaire Coscia de Charleroi et en demande, à ma connaissance, 5 millions d’euros. (Pour plus d’informations, écrire à oreste.coscia@belnot.be.)

Si les enquêtes préalables au classement sont autorisées par le gouvernement wallon, il est certain que nous appuierons la demande mais en insistant, tout comme la Commission en 1988, sur le seul classement des parties d’origine du fort, c’est-à-dire, outre les ouvrages extérieurs, les deux premiers niveaux de la caserne du réduit.

Site à réaménager (SAR)

Voici une solution que nous offre le Code de l’aménagement (CoDT) en son article D.V.1 et ss. Nous ne sommes plus ici dans un historique (inachevé…) de la protection du fort mais dans un possible futur.

Il est important de rappeler que le fort hollandais fut construit à l’emplacement d’un hameau qui n’avait aucun passé historique ni religieux ni militaire et qui fut exproprié pour la cause. Beaucoup de personnes s’imaginent que le fort de 1817 fut construit au même endroit que la chartreuse des Douze Apôtres laquelle fut fortifiée à plusieurs reprises, d’abord par les troupes du prince-évêque, ensuite par les Français, puis les Hollandais et enfin les troupes alliées au début du XVIIIème (lire à ce sujet l’ouvrage de Charles Bury « Historique de la Chartreuse. Le mont Cornillon » (en vente chez nous pour 5€). Le fort que nous connaissons fut construit environ 400m plus haut que l’ancien monastère détruit à la fin du XVIIIème siècle.

Cette erreur très répandue se retrouve dans l’Inventaire des sites à réaménager établi par le département de l’Aménagement du territoire en 2014. Bien que la description des lieux provienne d’un bureau d’études de l’ULiège, on peut lire ceci : « Le site se localise dans un des grands bois de la commune : le bois des oblats (sic). A la base, le site est un fort hollandais datant de la fin du XVIIe, réaménagé en un ensemble fortifié au début XIXe »

Il n’y a pas de « bois des Oblats » : le lieu ainsi appelé ne couvre que 3ha alors que l’ensemble du site s’étend sur 40ha ; il s’agit d’un parc aménagé avec allées, clairière et fausse grotte, vestiges du jardin du casino du Beau Mur qui eut une gloire éphémère au XIXème siècle. Le reste du bois provient d’un reboisement naturel après le déclassement du fort.

Le texte de l’administration (8 pages) qui numérote les différents bâtiments du site mais sans qu’ils soient identifiés sur un plan ou illustrés par une photo fait également référence à un charbonnage ayant appartenu à « de Coulteux de Canteleu ». Il s’agit du Français Jean-Barthélémy le Couteulx de Canteleu, comte et sénateur, qui avait acquis par adjudication une grande partie des biens des Chartreux en 1797. Il avait obtenu en 1801 la concession de la mine mais il dut abandonner l’exploitation en 1882 suite à l’augmentation des coûts de production provoquée par des venues d’eau de plus en plus importantes.

Une petite partie de la mine se trouve peut-être sous le site actuel de la Chartreuse mais sa plus grande partie se situait probablement sous Bressoux et Robermont.

Comme les auteurs de cet inventaire citent dans les activités antérieures à ce futur SAR, outre le charbonnage, un couvent exploité du XIIème au XVIIIème siècle, il faudra vraiment que nous leur organisions une visite des lieux avec les historiens du bureau d’études pour qu’ils comprennent de quoi ils parlent.

Mais il a le mérite d’exister cet inventaire, il peut servir de document de travail. La conclusion du rapport est relativement encourageante en ce qui concerne la sauvegarde du bâti au « vu de la qualité architecturale de la plupart des bâtiments, de la présence d’enceintes, de fortifications et de monuments » ainsi que la préservation de « la composante végétale du site qui est son plus grand atout ».

La procédure débute par un arrêté du gouvernent fixant le périmètre du site à réaménager. La demande peut, notamment, être introduite par une commune. La Région peut accorder une subvention en vue de l’acquisition par une personne morale de droit public de tout ou partie de biens immobiliers situés dans le SAR (article D.V.19). Selon l’article D.V.20, cette acquisition peut être réalisée par la voie de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Dans cette perspective, le classement du fort comme monument devient un atout essentiel pour sa sauvegarde, à condition qu’il ne soit pas transformé en logements.

Que retenir de ces 30 ans ?

  • l’intérêt grandissant des Liégeois pour la Chartreuse – je me souviens de l’étonnement admiratif des journalistes conviés en 1988 par l’ASBL Parc des Oblats lorsqu’ils ont découvert la lande aux aubépines et la vue sur la ville
  • un arrêté de classement du site grâce à la ténacité d’associations poursuivant des objectifs différents, les uns liés à la protection de la nature, les autres à la sauvegarde du patrimoine
  • MAIS, malgré ces dernières, malgré le classement : la dégradation des bâtiments et des fortifications hollandaises
  • la mobilisation importante de citoyens en 2017 contre le projet immobilier de Matexi
  • l’aménagement des zones vertes à l’initiative de l’échevinat de l’Environnement et grâce notamment au projet européen Value Added.

Et que faire maintenant ?

  • Convaincre la Ville de Liège de l’utilité, la nécessité, l’urgence d’introduire la procédure de SAR.

Des questions, des suggestions, votre avis:
Ecrire à monique.snyers@lachartreuse.org


Monique Snyers

Publié le 2 avril 2019
Mis à jour le 4 août 2023
http://www.lachartreuse.org/web/protection-du-site-de-la-chartreuse-2e-partie/

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