Que penser du projet de lotissement de Matexi?

 
Depuis l’affichage, le 13 octobre dernier, de l’avis d’urbanisme relatif au projet de construction de Matexi, le long de la partie haute du thier de la Chartreuse, beaucoup de réactions se sont fait entendre, très souvent émotionnelles et pas toujours bien informées.

Plusieurs membres du Conseil d’Administration de l’ASBL La Chartreuse se sont rendus le jeudi 19 octobre au Service de l’Urbanisme de la Ville de Liège pour consulter les documents de l’enquête. Un membre de l’ASBL a rencontré le responsable du projet chez Matexi et nous avons poursuivi notre analyse du dossier via les documents mis en ligne sur le site de la Ville de Liège. Nous nous sommes aussi replongés dans nos propres archives: depuis la vente des terrains aux sociétés immobilières, en 2003, notre ASBL suit en effet le dossier de réaffectation du site de l’ancien fort. N’hésitez pas à consulter les articles publiés sur notre espace web depuis 2006.

Deux réunions de notre CA se sont tenues les vendredis 27 octobre et 3 novembre. Sur base des éléments en sa possession à ce jour, l’ASBL a rédigé ses observations et propositions sur la demande de permis PU/85689. Nous transmettrons nos observations au Collège communal de Liège dans le cadre de l’enquête.

1. Faut-il urbaniser le site de l’ancien fort de la Chartreuse?

Maladroitement, nous avions ainsi titré l’article publié sur notre site web: L’urbanisation du site de la Chartreuse est en route…. Nous parlions bien entendu de sa partie « urbanisable », telle que définie dans le Rapport Urbanistique et Environnemental (RUE) adopté par le Collège communal en 2009. Il aurait été plus exact de l’intituler L’urbanisation de la ZACC de la Chartreuse est en route ou La ZACC de la Chartreuse va se concrétiser, car il n’y aura pas que des constructions dans cette zone.

Dans le projet Matexi qui nous concerne actuellement, et ceux qui pourraient suivre, il n’est pas question de toucher au Parc de la Chartreuse ni aux terrains affectés en zone de parc ou en zone verte dans le Plan de secteur. D’ailleurs, ces zones, hors de la ZACC – et donc du projet – appartiennent à la Ville de Liège et non aux promoteurs. Pas question non plus de supprimer les monuments ayant fait l’objet d’un classement individuel en plus de celui du site dans lequel ils sont inclus. Le projet s’inscrit uniquement dans le périmètre de la Zone d’Aménagement Communal Concerté de la Chartreuse (ZACC).

Créée en 1986, notre ASBL a un objet social bien clair: l’étude, la protection et la mise en valeur du site de la Chartreuse, ancien fort militaire, situé à Grivegnée, entouré de terrains militaires et non militaires, en ce qui concerne tant ses aspects historiques et archéologiques que ses aspects naturels (faune et flore). Nous poursuivons et poursuivrons toujours cet objectif.

Certains semblent découvrir aujourd’hui quelque chose de neuf, brusquement sorti d’un chapeau de magicien. La demande de Matexi s’inscrit pourtant dans le cadre de la mise en œuvre de ZACC, définie au plan de secteur depuis… 1987.

Le RUE de la ZACC de la Chartreuse, réalisé conjointement par la Ville de Liège et le Bureau Pissart, adopté en 2009, a organisé l’aménagement de cette ZACC en 3 phases, prévoyant des zones vertes, de l’habitat et des activités compatibles avec la fonction résidentielle, telles que définies au plan de secteur: équipements communautaires, espaces collectifs, bureaux, entreprises de services, entreprises artisanales, commerces de proximité de petite taille.

Pour mieux comprendre ce que pourrait devenir la ZACC de la Chartreuse, consultez les différents plans que nous avons publiés sur notre site et notamment Le dessous des cartes: la Zone d’Aménagement Communal Concerté et le RUE.

En lotissant sa propriété, Matexi souhaite démarrer la phase I de la mise en oeuvre de la ZACC, comprenant uniquement de l’habitat et des espaces verts. Entre 60 et 80 logements étaient planifiés par le RUE. Avec les 74 programmés, les dispositions prévues sont donc respectées par Matexi pour cet aspect. C’est pour nous une porte ouverte – disons entrouverte – vers la phase II, qui verra le renouveau du fort, espéré depuis 15 ans.

Mais… Mais nous sommes particulièrement interpelés par plusieurs aspects de la demande de permis déposée par Matexi.

2. L’étude d’incidence

Fin 2011, Matexi avait déjà déposé une demande de permis pour une partie de cette phase I, comprenant 22 logements uniquement à front de rue du thier de la Chartreuse. Le permis avait été accordé en 2012. Il n’a jamais été mis en œuvre. Selon l’auteur de l’étude d’incidence de juin 2017, une réunion publique avait été organisée dans les locaux du Comité de quartier de Bressoux-haut, dans le cadre de l’étude d’incidence de 2011.

S’il n’est pas fondamentalement différent de ce projet de 2011, le projet actuel concerne une zone plus large et davantage de logements et de voirie. C’est concrètement la mise en route de la phase I du RUE de 2009. L’ASBL La Chartreuse ne comprend donc pas que l’étude d’incidence de juin 2017 puisse se référer à une réunion publique de 2011.

3. L’enchainement des phases I, II et III

Administrativement, la demande de permis de Matexi ne concerne que la phase I du projet de réaffectation, celle où la société est le seul propriétaire. Mais on ne peut pas se prononcer sur ce projet sans savoir comment il se rattachera aux phases ultérieures.

Certes, l’étude d’incidence s’intéresse à l’ensemble de la ZACC et sur base d’un nouveau Master Plan réalisé par Matexi et, semble-t-il, présenté à la Ville de Liège en 2015. Nous ne connaissions pas l’existence de ce Master Plan. Le « plan masse » donne une idée de ce que pourrait devenir la ZACC et « même plus »: le plan fait apparaitre des habitations le long de la rue des Fusillés, pourtant dans un espace actuellement en zone verte au plan de secteur visible sur le site web de la DGO4 (Région Wallonne) et propriété de la Ville de Liège. L’arrêté D6188/164 du 20 juillet 2010 signé par le ministre Philippe Henry a-t-il eu des suites? Le plan de secteur a-t-il finalement été modifié?

Les limites de la zone de la demande permis ne correspondent pas à la totalité de la propriété de Matexi devant l’entrée de l’ancien fort. Ainsi, la zone délimitée par le Monument du 1er Régiment de Ligne, le Monument du Génie et celui du 15e d’Artillerie est «ignorée»: aucun aménagement n’y est prévu dans le projet soumis à enquête.

Le Master Plan de 2015 nous laisse fort dubitatifs. Sauf erreur, nous ne voyons qu’une voie piétonne du lotissement vers l’ancien fort et l’étroit chemin de l’ancien tracé du thier de la Chartreuse pour accéder au fort. Quel que soit le type d’affectation qui sera choisi pour l’intérieur du fort, il faudra pouvoir y accéder avec des véhicules. Nous ne voyons pas non plus comment la Ville de Liège pourra encore accéder au Parc de la Chartreuse avec des véhicules pour des travaux éventuels. Passer par l’ancien tracé du thier de la Chartreuse? Un peu de cohérence, s’il vous plait…

Si la société immobilière «fantôme» Immo Chartreuse avait joué son rôle, la réaffectation de la ZACC serait bien plus avancée et les bâtiments de l’ancien fort ne se seraient pas autant délabrés en 15 ans ! Faut-il rappeler que c’est notre ASBL qui, en avril 2010, a mis fin aux démolitions effectuées sans demande de permis et dans des conditions très douteuses par la société Immo Chartreuse? Certains ont peut-être oublié ou ne connaissent pas tout le travail qu’a fourni l’ASBL La Chartreuse

Il semble qu’il y avait dans le passé un accord entre Immo Chartreuse et Matexi pour réaliser la voirie d’accès vers l’intérieur de l’ancien fort, l’accès à celui-ci passant par la propriété de Matexi… Si la Société Immo Chartreuse ne semble plus montrer aucune velléité de faire avancer la phase II, Matexi doit-il pour autant « ignorer » cet accès? La Ville de Liège ne peut permettre cela.

4. La mobilité

La mobilité est le problème majeur du projet. 74 logements, disons donc 90 véhicules; à terme de la réaffectation de l’intérieur du fort, la phase II, 150 logements, 200 véhicules. D’après le Master Plan, le flux de circulation de la phase III se dirigerait quant à lui vers la rue Lebeau.

Pour réduire les effets de cette augmentation du flux de circulation, la Ville de Liège devra sans aucun doute interpeler la Région Wallonne pour faire aménager le carrefour des rues des Fusillés, des Fortifications et de Herve, car nous n’imaginons pas qu’on puisse autoriser la descente du thier de la Chartreuse… La Ville de Liège a-t-elle déjà travaillé sur cette problématique?

Pour réduire la quantité de déchets à éliminer, on procède au tri et au recyclage. Mais en amont, il faut faire aussi en sorte de moins en produire. Il en est de même pour la mobilité. Une première solution serait de tendre vers la limite basse du nombre de logements prévus pour les 3 phases: 240 logements et non 340, la limite haute. En conséquence, pour la phase I, il faudrait tendre vers les 60 logements.

Une autre piste serait de créer un accès par transport en commun: le dernier bloc d’appartements près du monument du 1er de Ligne se trouve à plus de 700 mètres du premier arrêt de bus… On pourrait, par exemple, compléter la ligne 10 du TEC par une extension jusqu’à l’entrée de l’ancien fort, celle-ci étant desservie par un bus sur trois. N’oublions pas que si cette ligne existait, elle ne desservirait pas que le nouveau quartier, mais aussi le Parc de la Chartreuse: celui-ci ne doit pas être que le lieu de promenade des propriétaires de chiens locaux, mais de tous les Liégeois.

Proposition d’aménagement de l’entrée de l’ancien fort – © ASBL La Chartreuse
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En hachuré fin, entouré d’un trait rouge, la zone faisant l’objet de la demande de permis.
En bleu, deux des monuments présents sur le site.
En bleu plus foncé, le bassin d’orage.
En rouge, deux des constructions de Matexi.
En hachuré plus gros, entourées d’un trait rouge, les voiries proposées par l’ASBL.
En jaune, la taille que devrait prendre l’immeuble avec ce nouveau tracé.

5. L’araine de la Chartreuse

Matexi positionne son bassin d’orage à l’extrémité de la parcelle, presque en face de la partie descendante du thier de la Chartreuse. C’était la position précisée dans le RUE de 2009. Il a été dimensionné en tenant compte du Master Plan, c’est-à-dire de la présence de constructions ultérieures. Par ailleurs, chaque logement aura sa propre citerne de 7,5 m3 et les toitures plates végétalisées contribueront à ralentir l’écoulement des eaux pluviales. Positif.

Cependant, ce bassin d’orage semble se situer non loin du tracé connu de l’araine de la Chartreuse (nommée aussi araine des Petites Sœurs des Pauvres) où coule une eau apparemment propre à la consommation et bue par plusieurs habitants du thier de la Chartreuse. L’étude d’incidence en parle aux pages 119 à 121. On y reproduit le croquis d’un tracé réalisé en 2003. Si on superpose ce tracé sur un plan du site du fort, on remarque que le début non identifié du tracé de l’araine passe, probablement, sous l’ancien thier de la Chartreuse et se dirigerait sans doute vers l’entrée du fort.

S’agissant d’un site classé, on peut espérer que Matexi, lors des terrassements, apportera un soin particulier à préserver les vestiges archéologiques qui pourraient être mis à jour. Mais il serait préférable de ne pas attendre ceux-ci et d’effectuer un travail de prospection. Des moyens techniques existent.

Conclusion

Dans l’analyse de la situation existante, page 24, le RUE liste une quinzaine de motivations pour attribuer une affectation essentiellement résidentielle à la ZACC et notamment:

  • le développement d’un quartier résidentiel constitue une opportunité pour rénover et mettre en valeur une partie des vestiges historiques (fort, remparts).
  • les quartiers qui entourent la ZACC sont déjà dotés des équipements et des infrastructures de desserte. Les couts induits par les nouvelles urbanisations seront limités : extension des réseaux existants, construction d’un bassin d’orage. Pour la collectivité, ils seront inférieurs à ceux d’une extension de l’urbanisation en périphérie.

En effet, comment réhabiliter la zone du fort sans faire appel à un partenariat avec le privé? La Ville de Liège n’aurait pas pu dégager seule un budget pour un projet de cette ampleur. D’ailleurs, pour aménager le Parc de la Chartreuse, elle a dû faire appel à des fonds européens avec le projet ValUE Added. Dans l’article paru le 17 octobre 2017 dans le journal La Meuse et intitulé Pas d’espace vert de qualité pour 70% des Liégeois, un membre du Collège communal précisait: « Nos moyens sont limités, explique Jean-Pierre Hupkens. C’est pourquoi nous comptons également inciter les promoteurs privés à contribuer à l’amélioration des espaces publics en imposant des charges d’urbanisme ».

L’ASBL La Chartreuse ne s’oppose donc pas au principe de la construction de logements sur la parcelle appartenant à la société Matexi.

L’ASBL La Chartreuse demande par contre fermement:

  • que la procédure de l’étude d’incidence soit revue et qu’une réunion publique soit programmée, comme ce fut le cas en 2011. Matexi ne peut pas «sauter» cette étape. Si elle avait eu lieu, on aurait sans doute pu éviter une partie des réactions passionnelles des riverains et usagers du Parc de la Chartreuse;
  • que le projet soit revu de manière à «accrocher» la phase I à la future phase II en aménageant la zone en face de l’ancien fort et en rectifiant le tracé du chemin d’accès actuel pour permettre tant l’accès à la caserne que la réalisation ultérieure d’un arrêt de bus TEC (voir plan au point 4. La mobilité);
  • que le projet actuel et les projets futurs s’alignent sur la limite basse du nombre de logements, soit 240 au plus et dans le cas présent 60 (la demande relative à l’arrêt de bus impliquerait une réduction de taille du bloc A d’appartements, passant de 15 à 7 logements);
  • que la problématique de l’araine de la Chartreuse soit traitée avec plus de précision;
  • qu’un Comité d’accompagnement soit créé à très brève échéance pour l’ensemble des phases I, II et III de la réaffectation de la ZACC et plus précisément du site de l’ancien fort.